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LES TOTEMS DE COMMENAILLES


La mairie de Commenailles, dans le cadre du projet de réaménagement de la place du village, a montré le besoin d’un nouveau regard sur leur espace. L'AAI a cherché à amener une autre vision que celle de l’agence d’architecture qui avait déjà proposé un projet de réaménagement.
Fabienne Trotte, artiste céramiste originaire de la région, chargée de développement au Relais Culture Europe, a intégré l’équipe pour l'occasion durant 5 jours de workshop.


L'objectif a été d’impliquer les "Commenailloux" dans ce réaménagement tout en montrant qu’avec des interventions précises et peu de moyens, il était possible de transformer un espace. Et cela, en seulement 5 jours.

Commenailles, un village fortement lié à son territoire


Un premier temps a été consacré à la récolte de témoignages et à la recherche de matériaux. Un tour du village avec Arnaud, élu municipal, a permis d'identifier les potentialités du site et les ressources disponibles. La spécificité du village est due à son étalement sur le territoire, il est composé d’un centre bourg, de plusieurs hameaux, de nombreux lacs et forêts. La commune est caractérisée par une typologie architecturale, la maison bressane
dont les matériaux sont fortement liés au territoire.
Les habitants ont permis l'identification d’anciennes briqueteries et tuileries sur le site. La tuilerie Jacob appartenant aujourd’hui au
groupe Imerys est un élément structurant de la commune. Presque toutes les tuiles plates des toitures du village proviennent de cette tuilerie.


Selon plusieurs témoignages, quand il n’y a pas de grande manifestation, les habitants restent peu sur la place et ne font que passer pour se rendre chez le coiffeur, la boulangerie, à l’église
ou encore à l’école.


Vous savez ici les gens habitent dans les hameaux à deux kilomètres du bourg donc on vient quand il y a des manifestations autrement nous ne venons pas, affirme Jean-Pierre un ancien
facteur du village.


L’enjeu a été de conserver l’espace vide pour les grandes manifestations (marché aux fleurs, fêtes nationales...) tout en satisfaisant l’envie des habitants de rester sur la place. La place étant grande et les bâtiments dispersés, l’enjeu était aussi de travailler sur des points d’intérêt précis pour unifier l’espace et lui donner une identité.

 


Des interventions architecturales ponctuelles en réponse à un problème global


Des temps de pause
 

Pour répondre au désir de pouvoir rester sur la place, l’un des objectifs a été de recréer du mobilier (un seul et unique banc identifié sur la place). Deux chantiers ont été lancés :


- Un banc près de l’église à l’ombre de la végétation a été créé. Il a été réalisé grâce au réemploi d’anciens volets récupérés chez un voisin. Le corps du banc a lui été conçu avec une structure bois recouverte par un gabion de tuiles cassées provenant de la tuilerie Jacob qu’un transporteur local a généreusement donné.


 



- Un second banc autour du tilleul a été créé. Au-delà de créer un lieu de convivialité, cette intervention avait pour objectif de sauver le vieil arbre menacé d'être abattu afin de pouvoir créer des stationnements. En faisant appel aux agents communaux pour élaguer et redonner une visibilité au vieil arbre, il a fallu un simple geste pour transformer le regard des gens. Lorsqu’un jour un habitant a amené trois grandes planches de chêne, l’idée de créer un banc autour de cet arbre est apparue comme une évidence. Les pieds des bancs ont été créés à partir de pavés autobloquants provenant de la démolition de la cour d’une école de la région, ou de briques creuses laissées sur la place par un habitant mystère durant une nuit. Pour les décorer, un atelier mosaïque s’est
improvisé avec Fabienne et les enfants du village.


Les petits jardins


Après avoir identifié de nombreuses jardinières inutilisées sur la place, un atelier jardinage a été lancé. Avec la création de logements pour personnes âgées près de la place et du fait de la proximité des écoles, l’idée était de rassembler les générations autour de petits espaces collectifs et partagés. Les bénévoles qui organisent le marché aux fleurs de Commenailles ont pris le projet en main, sont allées chercher des plantes aromatiques et arbres fruitiers dans leur jardin. L’achat de quelques plantes supplémentaires a permis de compléter l’ensemble. Cette volonté de rassembler enfants et anciens autour de la transmission d’un savoir-faire est un écho à la dynamique de la commune qui a déjà initié ce type de projet.


Le jeu


Un petit garçon qui feuilletait un livre de la bibliothèque de la caravane a dit que ce qui manquait sur la place, c’était un espace de jeu de société. Et en voyant les carreaux de grès noir et blanc donnés par Dominique, un voisin curieux et investi, il a lancé l’idée de créer un échiquier. La table a été conçue à partir de tasseaux en bois et d’un panneau de contreplaqué marine donné par Daniel, un habitant très investi durant ces 5 jours. Fabienne a ensuite mené un atelier pour concevoir les pièces de l’échiquier. Toutes les pièces, uniques, ont été façonnées par les habitants. Les pièces blanches sont réalisées en porcelaine tandis que les noires sont en grès. Une inscription en patois de Commenailles a été ajoutée sur un pied de la table : Te Ju (tu joues).


La signalétique


Un travail s’est porté sur la signalétique pour clarifier, unifier l’espace et faciliter la lecture du site. Suite à l’analyse de la place et d’après les différents témoignages, des lieux précis d’intérêt ont été nommés à travers des "totems". Nommer ces lieux a déjà été un moyen de leur redonner une certaine lisibilité. Ces totems ont été traités de la même façon, ils sont des points visuels permettant d’unifier la place. Pour mettre en avant l’identité rurale de la commune, les noms ont été choisis avec les anciens du village qui parlent encore le patois de Commenailles.


Le totem principal, disposé près des grands axes routiers, a été réalisé en gabion de tuiles cassées et renvoie aux autres totems :
• Totem "Etang Curtil" (l’étang jardin) : l’étang est à deux pas de la place, il ne se remarque pas si l’on empreinte la voie principale. Ce nom est le nom donné par les pêcheurs.
• Totem "Vieux Abre" (vieil arbre) : d’après les anciens, cet arbre a toujours été là sur la place. Cette symbolique a été appuyée pour que l'arbre reste et vieillisse sur place.
• Totem "Banc du Roupilli" (banc du repos) : ce banc, placé devant l’église, renvoie au fait que le cimetière se trouvait à cet endroit avant d’être déplacé. Il évoque donc à la fois le repos que procure un temps de pause et le repos éternel, en souvenir au cimetière d’antan.

• Totem "Médiathèque Caichie" (médiathèque cachée) : ce totem est un totem signalétique relais entre le totem principal et la médiathèque. Il paraissait essentiel puisque l’accès à la médiathèque est difficilement identifiable et que beaucoup n’en trouvent pas l’entrée.
• Enfin un dernier totem était prévu, il s’agissait du "Comptoir du Charti" (comptoir de la vieille halle) mais par manque de temps il n’a pas pu être conçu.


La typologie d’écriture peinte au pochoir sur les panneaux de signalétique est celle imprimée sur les tuiles Jacob, elle a été réutilisée pour mettre, encore une fois, l’accent sur le patrimoine du village.

 


La leçon de Commenailles


A Commenailles, l’Atelier d’Architecture Itinérant a permis plusieurs déclics : d’abord pour la municipalité, de voir autrement le réaménagement en essayant de l’articuler autour des usages possibles et de la vie de la place.

Ensuite pour les habitants, de s’approprier l’espace et de sentir que l’architecture n’est pas l’apanage des architectes. Ce projet a utilisé les ressources disponibles sur place : matérielles et humaines. La leçon de ce chantier a été de montrer qu’avec des éléments considérés comme des rebuts, on
peut construire des micro-architectures de la vie quotidienne à faible coût. Ce projet a rendu intéressant le caractère éphémère d’une installation. En effet, l’éphémère permet d’abandonner certaines contraintes réglementaires et mentales et libère à ce titre la créativité.


La caravane a attisé la curiosité des habitants qui tous les jours sont venus à la rencontre de ses occupants. De leur propre initiative, les commenailloux se sont impliqués en donnant des matériaux, des conseils et du temps. La fabrication d’une place comme lieu de vie a été rendue possible grâce à la participation
active des habitants, sans qui le projet n’aurait pu exister. L’initiation de nouveaux usages de la place provient des futurs usagers. Aussi la transformation de l’espace et la justesse des propositions émanent de l’appropriation des projets par les habitants.

 


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